Contexte
La corvette sudiste CSS Alabama avait été construite à Liverpool par le chantier Laird en 1862 pour la marine confédérée. Longue de 66 mètres sur 9,60 mètres, dotée de deux machines à vapeur de
300 chevaux, gréée en trois-mâts barque, elle comportait huit canons. Sillonnant pendant près de deux ans l'Atlantique et l'océan Indien, ce bâtiment corsaire, dont les officiers étaient des
marins confédérés mais l'équipage majoritairement anglais, arraisonna 447 navires marchands et en brûla 521. Il avait une seule fois affronté un navire de l'US Navy, la canonnière Hatteras, qu'il
coula devant les côtes du Texas.
Le 11 juin 1864, l'Alabama se présenta devant le port de Cherbourg pour y effectuer des réparations nécessitant une mise en cale sèche. Son commandant, le capitaine Semmes, demanda donc à entrer
dans l'arsenal. Le consul des États-Unis, Édouard Liais, avertit aussitôt le ministre des États-Unis en France ; ce dernier alerta par télégraphe l’USS Kearsarge, qui se trouvait dans le port de
Flessingue, aux Pays-Bas. L'Alabama attendait toujours l'autorisation d'entrer dans l'arsenal quand, le 14 juin vers midi, le Kearsarge arriva devant la grande digue protégeant la rade de
Cherbourg. Aussitôt, le commandant Semmes décida de l'affronter. Il fit donc transmettre un cartel au commandant fédéral John Ancrum Winslow, informa le préfet maritime qu'il ne souhaitait plus
réparer, mais demanda à remplir ses soutes de charbon. Après avoir tenté d'éviter un futur combat, le préfet maritime dut se contenter d'éviter que ce dernier eût lieu à l'intérieur des eaux
territoriales.
RÉCIT DU COMBAT
19 juin 1864
La population de Cherbourg et quelques parisiens visitent le nouveau casino de la ville, sous le ciel bleu de ce dimanche matin. D’autres ont préféré aller voir ce que la statue équestre de
Napoléon pointe du doigt ce jour-là, au large : le CSS Alabama et le USS Kearsarge qui s’apprêtent à livrer bataille.
Après deux années de missions dans l’Atlantique, le CSS Alabama, vaisseau de la marine des Etats confédérés (sudistes),
a causé de grands dommages au commerce de la marine marchande de l’Union. Il a arraisonné 447 navres et en a coulé 67. Armé de huit canons, ce navire bénéficie d’une énorme machine à vapeur,
capable de propulser ses 1050 tonnes et 170 hommes à une vitesse de 13 noeuds.
Son capitaine, Raphael Semmes, est un personnage assez atypique en matière militaire et ses mémoires ne permirent pas de clarifier ses idées, ce dernier considérant sa carrière comme un «livre
fermé».
Son sloop de guerre ayant besoin d’une bonne remise en état et de se ravitailler en eau et en charbon, il fait escale à Cherbourg le 11 juin 1864. La nouvelle de sa présence atteint rapidement un
navire de la marine de l’Union, le USS Kearsarge, qui veut en découdre. Il fait aussitôt voile vers la Manche pour vérifier l’information.
Raphael Semmes, capitaine de l’Alabama. Il était surnommé « Old Beeswax » (vieille cire d’abeille), en raison de sa barbe en pointe.
Pourquoi Semmes quitte-t-il son refuge pour affronter le Kersearge, mieux armé ? La question demeure sans réponse
certaine. Peut-être est-il fataliste, fatigué de naviguer Peut-être veut-il terminer sa carrière glorieusement, par une victoire éclatante.
Via le consul des États Unis, basé à Cherbourg, Semmes demande au Kearsarge d’attendre que son bateau soit réparé pour le combattre. Il s’adresse ensuite à son propre équipage :
Toute l’Europe en ces instants a les yeux rivés sur vous. Ce drapeau flottant au dessus de vos têtes est celui d’une jeune république qui a su défier ses ennemis à chaque fois et là où ils se
sont présentés. Montrez au monde de quelle manière vous le faites respecter ! Tous à vos postes !
Sur la côte, le Kearsarge attend son adversaire… L’Alabama fait patienter le Kearsarge toute une semaine, à tel point que son capitaine, John A. Winslow, s’inquiète d’une ruse.
Forces en présence : Si le USS Kearsarge et ses 150 hommes n’est pas un navire aussi long et aussi rapide que
l’Alabama, il dispose de deux canons de 11 pouces, plus gros que tout ce que l’on pouvait trouver à bord du vaisseau confédéré.
Winslow était né en Caroline du Nord et commandait le Kersearge depuis plus d’un an. Fin stratège, il a pris soin de placer d’énormes chaines de métal, prélevées entre autre à partir de son ancre
de rechange, sur différents points faibles de la coque qu’il a ensuite camouflées en les peignant en noir.
Le Kearsarge, tel qu’en 1890.
Le CSS Alabama.
10:20 à Paris, 4:20 à Washington, le Kearsarge aperçoit l’Alabama qui, sur une mer tourmentée, tente coûte que coûte de
l’affronter. Accompagné du cuirassé français Couronne, l’Alabama se retrouve à 11h en dehors des eaux territoriales. Il se place à un kilomètre du Kearsarge et ouvre le feu. L’attaque est lancée,
un tir généralisé s’engage sur les deux bateaux qui, dans un bruit assourdissant, crachent des boulets parfois lourds de plus de 80 kilos.
Sur de petites embarcations, louées pour l’occasion, quelques spectateurs apercoivent les deux vaisseaux, barrant dans un nuage de fumée.
L’Alabama tient bon, mais sa poudre est de piètre qualité. Elle n’arrive pas à transpercer le Kearsarge. Un seul tir parvient à toucher l’hélice adverse. À lui seul, un tel coup aurait pu être
fatal, mais le boulet n’explose pas !
« Combat entre le USS Kearsarge et le CSS Alabama en 1864 » par Durand-Brager
Après plus d’une heure d’un feu ininterrompu, l’Alabama compte déjà de nombreux morts et blessés tandis que le
Kearsarge tient bon grâce à ses protections d’acier.
Seemes se rend compte que son bateau coule par l’arrière, il ordonne alors immédiatement de hisser les couleurs et d’évacuer le navire. Le capitaine est récupéré ainsi que 85 de ses hommes par le
Kearsarge et quelques bateaux aux alentours. L’Alabama sombre.
Voulant annoncer la défaite probable des sudistes de la guerre de Sécession, Manet immortalisa ce combat naval un an après les événements.
Après un combat incessant, bien qu’il ait tiré 370 fois contre seulement 173 pour son adversaire, l’Alabama n’est plus qu’un squelette sombrant par 60 mètres de fond dans la Manche, devant des
milliers de spectateurs rassemblés sur la rade de Cherbourg. Douze membres de l’équipage, dont le médecin du bord, meurent noyés.
À bord de l’embarcation d’un touriste anglais, Semmes aperçoit son bateau une dernière fois et jette son épée à la mer.
Plus tard, il racontera la colère qui le saisit lorsqu’il apprit que Winslow avait protégé son navire avec des chaînes de métal.
L’épave de l’Alabama est toujours dans la Manche, quelques pièces ont pu être remontées à la surface, dont un canon qui trône dans le hall de la Cité de la Mer de Cherbourg.
Dans les librairies : Les tuniques bleues N°37, traite de cette bataille :
Ou Jacky Desquesnes - DUEL AU LARGE - LA GUERRE DE SÉCESSION DEVANT CHERBOURG - 19 JUIN
1864